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| Coquelicot | |
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Calli Kayan Poète en orbite
Messages : 35 Date d'inscription : 31/08/2008 Age : 36 Localisation : A Palma de Majorque (Iles Baléares) pour un an d'études
| Sujet: Coquelicot Sam 11 Oct - 17:44 | |
| L’aube se lève et j’abandonne le pas pour adopter le trot ; il a perdu beaucoup de sa souplesse. Le regard fixé sur le voile rouge de l’aurore je suis son cours ; je vais vers ce grand soleil qui s’est levé tant de fois sur mes jours. Je lui fais confiance, c’est un bien meilleur guide que mon flair trompé par le trop d’odeurs. Mes moustaches sont lourdes de boue; de petites gouttelettes d’eau mêlées à de l’argile dégoulinent le long de leur fine tige.
Je ne prend pas la peine de vérifier si mon message ne se perd pas. Serré entre mes pensées ; calé dans mes souvenirs, il ne risque pas de s’enfuir.
Enfin, la ville… Je me souviens de chaque ruelle ; de chaque dimanche dans le panier de la bicyclette de mon maître à côté de la baguette de pain. C’était un petit vélo couleur cerise; la mousse du guidon était rongée par le temps et les roues grinçaient mais ce n’était pas grave, c’était un joli vélo quand même. Je demande à ma mémoire de visualiser ce petit destrier rouge pour le suivre. Bientôt il se dessine dans ma tête et s’enfuit tel un fantôme devant moi. Je quitte le chemin du grand soleil pour suivre mes souvenirs de ces dimanches. Il n’y a plus cette joie de vivre, l’épicerie a perdu sa pancarte…D’ailleurs je ne suis même pas sûre que ce soit l’épicerie…Les étals sont vides. Mais je me concentre sur le vélo rouge qui file devant moi, il faut que je me dépêche avant que ma mémoire ne s’estompe et n’oublie la route. Puis, un chemin de terre apparaît, les maisons sont moins nombreuses. Les magasins disparaissent et les voitures n’existent plus. La campagne s’offre à moi. Je presse le pas pour ne pas perdre le vélo couleur cerise que mes souvenirs dessinent pour me guider. Le soleil a quitté son voile rouge, il semble bien éveillé désormais, en ce début de matinée. La course du temps ne me laisse aucun loisir d’observer plus longtemps cette grande demeure en pierre qui fut la mienne; Sa furtive vision me rassure pourtant, forte sur ses piliers inébranlables ; elle seule n’a pas changé. Il manque juste quelques éclats de rire. Mon cœur bat plus fort, mais je ne m’arrête pas. Je suis peinée de passer à côté de ma famille mais je n’ai pas le choix. Je ne dispose plus de ma vie, ce qu’il en reste leur appartient.
Difficilement j’escalade le mur de la maison voisine, mes griffes crochetant les pierres qui s’effritent. Mes muscles donnent leurs dernières forces et je les remercie en silence, leur promettant le repos ensuite. Le soleil m’éclairant de face me brûle les yeux que j’ai toujours eu fragiles. Des larmes se glissent dans mes prunelles, c’est comme ça ; la lumière vive m’a toujours fait pleuré…Enfin j’atteins un petit muret stable ; posant mes pattes de devant dessus, je me hisse avec celles de derrière, ultime effort à fournir. Je ne pense pas à la fine traînée rouge qui longe le mur à la verticale. J’ai beaucoup demandé à mon corps et la blessure s’est rouverte tandis que je grimpais. Pas le temps d’y faire attention…Je redresse ma tête, les yeux plissés pour regarder l’intérieur du grenier. La fenêtre n’est pas fermée, c’est déjà ça. Je fais trois pas avant de sauter en bas. Le plancher en bois me reçoit durement et je me rattrape de justesse. Je m’allonge enfin ; les yeux mi-clos et les oreilles pointées vers l’avant pour écouter les échos je miaule, j’appelle celui que je suis venue chercher.
Son poil roux rayé découpe la lumière tamisée. Il s’approche la queue dressée et me regarde, sa tête fine penchée sur le côté. Son unique oreille se dresse vers moi et ses moustaches frémissent. Le museau en l’air il étudie mon odeur et me devine blessée. Sa queue plaquée entre ses pattes me fait savoir son inquiétude. Je me suis redressée et le regarde franchement, il connaît cet air là. Il sait que ça veut dire : ça n’a pas d’importance…
« Bonjour Aristote »
« Tanaë… »
« J’ai un message à livrer » Comme il ne répond plus je m’empresse de finir « ce que je vais te dire doit rester dans les mémoires… »
Il a sûrement comprit car il bondit dans le coin du grenier, là où était rangé la vieille machine à écrire. Avec ses dents Aristote enlève la bâche la recouvrant et s’installe devant elle. Nous autres chats comprenons l’humain. Nous savons aussi lire. Aristote avait apprit l’écriture en observant son maître , poète en peine aux vers féconds; Quoiqu’il en soit ; bénie soit cette machine à écrire. Nos cordes vocales nous interdisent de miauler l’Humain, nos pattes nous empêchent de tenir une plume. Il rentre ses griffes et appuie sur la première touche. Je respire à fond. Il faut que je parle maintenant. Je ferme mes yeux, mes deux rubis qui pleurent le jour…Aujourd’hui n’est plus, et hier revient à ma mémoire. Elle chuchote au creux de mes oreilles plaquées en arrière contre ma fourrure pour ne plus entendre qu’elle. Maintenant il faut raconter…
« Je me souviens de la première fois où j’ai ouvert les yeux et du goût des larmes. Ma mère disait que les chats ne pleurent jamais, n’aiment pas et ne haïssent pas…Ils survivent tout simplement ! Les sentiments sont faits pour les humains. Ce n’était donc pas moi qui pleurait, mais mes yeux. Aussi fragiles qu’étranges, ils craignaient le soleil de midi. Pourtant je me suis habituée et ça ne m’a pas empêchée de cabrioler comme une petite folle dans la ferme.
L’aube me tirait toujours du sommeil ; son voile d’un rouge doux me chatouillait les poils et m’offrait une nouvelle journée de couleurs. J’aimais la lumière matinale, trop faible pour abîmer mes étranges prunelles. Mon jeu préféré consistait à suivre les rayons rouges du soleil à demi-endormi. Je sautais alors, debout sur mes pattes arrières pour essayer d’attraper les fines poussières dansantes qu’il révélait. Tout à mon jeu j’avais fini, ce jour-là par atterrir dans la petite chambrette de ma maîtresse. Sur la commode en bois d’ébène marqué des griffures du temps, reposait un miroir. Une fissure parcourait son corps étrange et je m’approchai de cette créature immobile. Lorsque mes pattes arrières trouvèrent les draps doux comme appuis ; celles de devant osèrent se lever pour s’appuyer sur le bois noir. Mais une petite chatte arrêta mon exploration. Je ne l’avais pas remarqué avant ; elle devait avoir le même âge que moi…Ses minuscules pattes blanches frôlaient les miennes mais son contact était froid comme si sa fourrure était cristallisée ; dure comme un objet. Les oreilles et le museau pointés en avant elle me fixait d’un air de défi. Comme ma mère me l’avait enseigné j’émit un grognement sourd ; l’avertissant de ma domination. Elle aussi, plaqua ses oreilles en arrière. Ses yeux me mettaient mal à l’aise, ils étaient d’un rouge entêtant. Pendant longtemps encore je jouais avec la chatte inaccessible. Tantôt je la haïssais de ne pas pouvoir la toucher et de la voir répondre à mes provocations ; tantôt je l’aimais de partager ce moment avec moi. Le temps passa vite et midi arriva…J’allais cesser de jouer avec la chatte que je ne pouvais atteindre lorsque ses yeux rouges me fixèrent. Je la défiais de me quitter en première et elle répondait comme toujours. Le rayon profond du soleil bien éveillé cette fois donnait une étrange texture à son pelage. Il l’effaçait de moitié et sa silhouette était floue. Un instant encore je regardais ses yeux. Ils pleuraient ; me toisant pourtant sans tristesse aucune. Une goutte de pluie perla dans mon poil au même instant. Je compris que j’étais seule dans cette pièce à jouer avec mon reflet. J’étais la seule chatte dont les yeux pleurent disait ma mère. La seule qui avait deux coquelicots dans les prunelles.
C’est ainsi que j’ai grandi avec mon image. Ma mère disait que c’était inutile ; que l’identité d’un chat ne se trouve pas dans le regard mais dans les hormones. Moi j’aimais me regarder dans le miroir fissuré ; je restais de long moments à fixer mes yeux. Il faut dire que j’aimais beaucoup les coquelicots. On en trouvait dans les plaines de mon Anjou et j’appréciais leurs douce corolle chatouillant mon museau taquin. Le nez enfouit dedans, je leur volais la rosée du matin posée sur leurs pétales. Ils étaient de formidables mouchoirs soyeux. Même adulte j’ai continué de courir par les champs enfouir mon museau dans les coquelicots jusqu’à ce que l’humidité me fasse éternuer. Mais, écoutant ma mère comme tout chatte respectueuse se doit de le faire j’ai cessé de regarder dans le miroir ceux qui avaient éclos dans mon regard. Pierre aussi grandissait. Il apprit à faire du vélo vers ses 12 ans alors que mes pattes fatiguaient déjà un peu. J’apprit avec lui lorsqu’il me mit d’office dans un petit panier d’osier devant le guidon rouge ; juste à côté de la sonnette. Mes yeux pleuraient toujours pendant nos promenades…Surtout en été, l’époque des coquelicots. Je pense que c’était la pluie des nuages qui transcendait mon corps pour venir arroser ceux que j’avais dans mes prunelles. Ca serait si triste qu’ils se fanent et meurent de soif…
« Qu’elles soient chagrines ou heureuses. Les pluies font grandir les enfants, les cours d'eau et les coquelicots »
Les pluies tombant sur notre chemin de terre, près de la maison et dans nos cœurs étaient joyeuses. Depuis 17 ans maintenant je ne connaissais que le bonheur. Ma mère était morte depuis longtemps déjà mais je n’avais pas pleuré. Les chats ne pleurent pas disait-elle. Malgré mon âge je continuais de fleurer les coquelicots, posant mon nez au creux de leur cœur pour que leurs pétales entourent mon museau ; pliant légèrement mes moustaches. Ce jour-là, dans l’aube rougissante comme toujours je cavalais dans les champs. Un coquelicot soyeux n’attendait que moi et je me régalais à l’avance de sentir ses petits bras de soie entourer mon museau. Pourtant un mouvement sur le haut de la petite fleur m’en empêcha. C’était une coccinelle, avec ses petits points noirs sur le dos ; comme les petites tâches d’encre d’une écolière peu soignée ; sa jolie robe rouge qui ne se froisse jamais et ses ailes transparentes comme un filet d’eau. J’aimais ces créatures. Non pas pour la poésie qui s’en dégageait mais l’amusement. Mes instincts de chasse revenaient et je me mis à poursuivre gaiement la bestiole. Sa minuscule silhouette volait bas et je l’avais suivi en courant malgré mes muscles fatigués. La vilaine m’entraîna près d’une maison voisine à la notre et me fit grimper jusqu’au grenier. Escaladant le mur de pierre ; bien décidé à regarder encore la coccinelle je n’hésitais pas et pénétrais dans ces lieux inconnus. Une forte odeur parmi tant d’autres inconnues me fit plaquer les oreilles. Mes yeux ne pleuraient plus car la pénombre les protégeaient. Une silhouette rousse et rayée s’approcha de moi ; me reniflant nerveusement. J’étais trop vieille et n’avait plus de chaleurs. C’était un drôle de avec une oreille en moins et un engin d’humain-Une vieille machine à écrire- posé sur le sol poussiéreux entre les pattes. Sur la lettre C la coccinelle était posée ; nettoyant soigneusement ses pattes fines. C coquelicot, C Coccinelle… Puis elle s’envola définitivement vers le ciel tandis que je faisais les présentations avec le vieux chat. Il avait un an ou deux de plus que moi. C’était son odeur qui me le disait. Ensemble, après nous être reniflé et même griffés légèrement pour montrer qui était dominant-ce fut lui- nous nous approchâmes de l’objet. Il m’expliqua qu’il avait vu son maître écrire et que ce dernier, ayant une migraine affreuse avait laissé la machine telle quelle sans la ranger pour aller se coucher. Il attendait une opportunité comme celle-là depuis longtemps car glisser les feuilles dedans lui était impossible. Comme c’était lui le dominant il eut le droit de s’informer le premier. Reniflant la machine ; mettant ses pattes dessus puis s’y frottant pour la marquer de son odeur. L’une de mes moustaches effleura l’engin et je posais ma patte blanche en même temps que la sienne sur une touche sans lettre. J’appuyais plus fort, curieuse de savoir laquelle c’était-nous autres chats savons parler et lire l’humain. Après tout pourquoi ne comprendrions-nous pas cette langue que nous côtoyons depuis toujours ? C’était un R…R Rencontre, R Rouge comme les coquelicots de mes yeux me souffla Aristote
A suivre...
Dernière édition par Calli Kayan le Sam 11 Oct - 17:49, édité 2 fois | |
| | | Calli Kayan Poète en orbite
Messages : 35 Date d'inscription : 31/08/2008 Age : 36 Localisation : A Palma de Majorque (Iles Baléares) pour un an d'études
| Sujet: Re: Coquelicot Sam 11 Oct - 17:44 | |
| Je suis souvent revenue voir Aristote ; il était ce compagnon que je n’avais jamais eu dans ma jeunesse. Mes frères et sœurs ayant tous été donné à des amis de mes maîtres. C’était un être calme et patient qui ne se lassait pas d’étudier la machine pour l’apprivoiser. Son écrivain de maître avait définitivement abandonné ses poèmes ainsi que ses larmes. Les humains pleuraient eux, mais seulement quand ils avaient assez de larmes. L’amour-encore un sentiment humain- disait Aristote , lui avait volé ses dernières gouttes de sel. Mes visites avaient lieu chaque jour aux alentours de midi. C’était dans ces moments-là que j’appréciais le plus la pénombre du grenier qui protégeait mes yeux. Pourtant je manqua le rendez-vous un jour. Un seul jour, c’était l’anniversaire du plus jeune de mes maîtres et le mien-Nous étions né le même jour-Dix-huits ans de conclu. Pourtant le gâteau aux framboises bien mures n’était pas sur la table en bois de la cuisine... Pourtant, les sourires n’étaient pas sur les visages. C’était aussi la veille de l’anniversaire du plus âgé de ms maîtres qui, demain aurait 46 ans. –Mais comment tenait-il encore sur ses pattes ? A dix-huits ans j’y peinais moi-Mes maîtres et la femme de maison semblaient inquiets ; Immobiles dans la grande maison qui ne riait plus. Lorsque Pierre se leva, il me tira de ma sieste sur le seuil de la porte. Je remarquai alors l’entrée d’humains inconnus. Leur odeur était d’ailleurs ; ils avaient voyagé. Où ? Je n’en savais rien. Je me pelotonnais près de Pierre qui tremblait ; levant mes yeux malgré le soleil ardent je regardais l’homme étrange.
« Bonjour, Monsieur et Madame Le Franc. Jeune homme »
Il esquissa un drôle de salut en mettant sa patte-les humains appellent sa main-sur sa tempe.
« Vous n’ignorez pas l’appel que l’on a passé sur les ondes ? Bien, nous avons fait un petit recensement et nous vous prions de rejoindre le rang de nos patriotes qui se battent pour notre pays »
Ma maîtresse intervint. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il fallait se battre. Nous les chats, nous marquions notre territoire souvent de notre urine et chacun respectait les limites. Parfois une ou deux rixe éclataient mais aucun chat n’allait demander à l’autre de l’aider à se battre pour son territoire. Surtout si c’était un chat inconnu.
« Vous ne pouvez pas »-Fit-elle d’un ton assuré-« Pierre est trop jeune, et Jean trop âgé. Vous avez dû vous tromper il n’y a aucun appelé dans cette maison »
« Madame ; la Mairie a inscrit leur nom et leur date de naissance dès leur premier cri. Et le registre est formel ; ainsi que nos règlements. Nous engageons tous les hommes en bonne santé de dix-huit ans à quarante-cinq. Jean Le Franc et Pierre Le Franc présentement l’âge requis. »
Moi aussi j’avais dix-huit ans mais ça ne me concernait pas, j’étais une femelle pas un mâle et j’étais un félin.
« Monsieur... »
« Colonnel » reprit l’homme sévère en vêtements militaires
« Colonnel, ne me faites pas ça. Je n’aurais plus d’homme à la maison et je suis malade. Jean aura un an de plus demain et Pierre n’en a dix-huit que depuis aujourd’hui »
« Aujourd’hui est aujourd’hui ; ce n’est plus trop tôt pour Pierre. Demain n’est pas aujourd’hui, il n’est pas trop tard pour Jean. Madame, il s’agit de défendre la France ! »
Mes maîtres furent priés de préparer leurs affaires ; Lise Le Franc secoua tristement la tête puis toussa violemment. Malgré le soleil en face de moi je remarquais son mouchoir blanc et soyeux se couvrir de rouge. Un peu comme un coquelicot dans lequel elle aurait mit son nez, comme moi. Mais le rouge était bien plus entêtant et l’éternuement provoqué n’était pas amusant ; il semblait faire mal. Je ne sais pas pourquoi la vue du sang me déplût ; j’en avais pourtant l’habitude avec les souris et les oiseaux. Peut-être était-ce parce faisait trembler la main habituellement ferme qui caressait mon pelage blanc ? Comme je voulais échapper à cette vision j’escaladais les escaliers et rejoignit Pierre et Jean ; me glissant en silence dans leur pas. J’ignorais leur mine triste, seul comptait Le sac sur leurs épaules comme lors de nos randonnées. J’aimais ces longues promenades parmi la campagne. Il y avait toujours des coquelicots sur le chemin ; plus encore que dans les champs où je me rendais le matin.
Personne ne semblait se rendre compte de ma présence. Le colonel marchait devant, d'un pas raide et sévère; mes deux maîtres avaient l'air abattu, j'en suis plutôt étonnée car nos randonnées ont l'habitude d'être plus joyeuses. Petit à petit je comprenais que cette tristesse avait un rapport avec l'homme en uniforme qui nous menait Dieu sait où. A l'embranchement, près du ruisseau, nous avons prit le petit chemin de droite, le plus sinueux mais aussi mon préféré. Il est beaucoup plus intéressant, plus verdoyant que l'autre, une mousse abondante a poussé sur ses flancs, remplie d'odeurs qui m'informent sur les faits et gestes des chats du voisinage...Et surtout, surtout...Ce petit chemin débouche sur une prairie en jachère où se mêlent des herbes trop hautes, des pissenlits jaunes, des chardons piquants et des coquelicots. Lorsqu'on y arriva, je quittais le sentier que les trois hommes continuaient de suivre pour vagabonder un peu, reniflant les coquelicots et soufflant dedans comme j'aimais tant le faire. Un petit bruissement léger m'attira, léger si léger mais bel et bien présent. Tournant la tête je finis par apercevoir, perchée sur un pissenlit, une petite coccinelle. J'aurais souris si je savais le faire. Cela me rappelait ma première rencontre avec Aristote, le vieux chat écrivain. Je regarde finalement s'envoler la bestiole avec armertume; elle n'est pas restée longtemps, sans doute appelé ailleurs par on ne sait quel instinct. Suivant le mien, je retrouvais les trois humains et les rattrapaient sans trop de difficultés. Les bipèdes sont plutôt lents en général, il faut avouer que la nature ne les a pas forcément gâté, quelle idée de ne leur donner que deux pattes aussi.
En fin de compte, nous sommes arrivés au centre du petit village fleuri que j'ai toujours connu. J'émis un miaulement interloqué lorsque je les vis prendre une rue adjacente à celle qui menait à l'épicerie. Nos longues randonnées débutaient toujours par un arrêt dans la petite boutique de Monsieur Richard; mes deux maîtres saluaient chaleureusement ce gros bonhomme que j'aimais beaucoup. Pierre sortait quelques ronds d'or de sa poche recousue maintes et maintes fois et Monsieur Richard nous donnait une baguette de pain, chaude et tellement croustillante. Il se baissait pour me donner un bout, tout en caressant mon dos, m'arrachant un ronronement enchanté. Mais aujourd'hui, visiblement il n'y aurait ni pain, ni sourire. Sur la place du village une petite troupe d'hommes attendaient, encadrés par des gens en uniformes tous aussi sévères que le colonnel. Ce dernier mena mes deux maîtres près d'une voiture verte kaki, de la même couleur que sa tenue. Je suivais le mouvement et Pierre se retourna soudainement, comme s'il venait de s'apercevoir de ma présence. L'une de ses grandes mains m'empêcha de monter dans l'étrange véhicule ronronnant tandis que Franck prenait place.
-La guerre n'est pas pour toi ma petite demoiselle
Les autres hommes que je connaissais pour la plupart firent de même après avoir été appelé un à un. Les monstres à 4 pattes qu'utilisent les hommes pour aller plus vite ronronnèrent un peu plus fort et s'ébranlèrent. Encore trop surprise par la réaction du plus jeune de mes maîtres qui ne voulait pas de moi pour sa randonnée à "guerre" je restais, indécise sur le parvis de l'église; sur le trottoir près de la route. L'un des hommes-déjà vêtu de l'uniforme lui- qui n'était pas encore monté m'offrit une caresse puis me saisit. Sa main bourrue passa sans permission sous mon ventre blanc et j'en miaulais d'indignation sans mordre toutefois. On ne mord pas les humains me disait toujours ma mère... C'était l'une des choses les plus dangereuses à faire...Et pourtant, Dieu sait que ma mère ne reculait devant presque rien. Il me souleva un peu plus; sa barbe hirsute m'irritant le haut de la tête et sa voix grave me hérissant le poils. Ses camarades sourirent en le voyant ainsi, lui le gros costaud, entiché d'une vieille chatte au pelage blanc et aux yeux rouges. En voyant ces derniers ils cessèrent leur plaisanterie pour prendre un air complice
-Prend-la Jean. On dit que ça porte bonheur les chats albinos et Dieu sait qu'on en a besoin de chance pour cette fichue guerre
Encore ce nom: " guerre". Je me demandais ce que pouvait bien être cet endroit. Il devait être très connu pour que tout le monde le connaisse et en parle...Les grosses roues de l'engin se mirent en route et la voiture finit par démarrer; quittant le trottoir sur laquelle elle était à moitié perchée. Je ne pouvais rien faire, coincé entre les bras de l'homme; d'un autre côté je n'avais pas spécialement envie de me dégager non plus...Pierre et Franck étaient juste devant moi, dans le monstre à 4 pattes de devant; j'avais envie de rester avec eux, je voulais voir "guerre"...Peut-être qu'il y aurait des coquelicots qui sait ?
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