Calli Kayan Poète en orbite
Messages : 35 Date d'inscription : 31/08/2008 Age : 36 Localisation : A Palma de Majorque (Iles Baléares) pour un an d'études
| Sujet: Demoiselle Jeu 18 Sep - 19:14 | |
| Demoiselle
En pleine nuit la ville dérangée ouvrit ses yeux fiévreux ; peu à peu les lumières des demeures se rallumaient. le cri des bombes à l’agonie venant s’écraser sur le pavé et les maisons avaient dessiné de lourds cernes noirs sous ses paupières…Notre ville ne dormait plus et nous non plus. Cette nuit-là encore je suis terré dans un coin de notre abri souterrain. Toujours le même coin, nous avons nos habitudes. Je vois mes parents sans les regarder et j’oublie mon grand frère engoncé dans la silhouette de l’ombre. Mon père essaie de plaisanter comme toujours mais c’est moins drôle qu’avant. Papa où est passé ton ventre bedonnant qui tremblait quand tu riais ? Et ce rire si franc, si vrai est-il parti en voyage ? Beaucoup de choses ont disparu comme ça, d’abord la beauté du visage de maman et la beauté des paysages aussi ; les couleurs et les champs de blés. La guerre est une voleuse, je perds espoir de revoir un jour le chatoiement des ailes d’un damoiseau papillon. Papa a cessé de plaisanter, épuisé il incline doucement sa tête et ébouriffe mes cheveux dans une ultime tentative pour laisser mourir son sens de l’humour dans la dignité, puis il s’éloigne. Quelque chose est tombé sur mon bras lorsque mon père a dérangé ma tignasse épaisse, c’est léger et délicat ; dans la lueur faible d’un rai de lumière lunaire survivant j’entrevois un petit rond, un petit rond rouge…Une tâche de sang ? Etrange, je n’ai pourtant pas mal…Mais soudain voilà que le petit rond bouge et se met à courir vers la paume de ma main.
Ca chatouille, ça fait rire aussi…Un vrai rire comme je n’en avais plus eu, mon bras en frissonne, qu’il est bon de se sentir encore vivant, une bombe hurle encore comme si elle refusait sa mort inéluctable, le temps s’égraine sous son cri terrifiant avant de s’écraser tout près de nous ; un rayon de lumière étrange et jaunâtre envahi l’abri souterrain et dévoile la petite demoiselle perchée sur mes doigts. Oh la jolie fée; c’était toi que j’attendais depuis longtemps, la beauté qui manque aux enfants pour sourire encore. Je te regardais sans jamais te quitter des yeux. Tu étais belle mais tu avais tout de même pleuré comme nous tous, des petites tâches perlaient sur ta jolie robe rouge en preuve de ton chagrin, mais cette peine ancré en toi appartenait au passé, présentement tu cavalais, joyeuse sur ma ligne de vie. A petits pas comptés, légers, si légers sans méfiance tu t’aventurais sur le bout de mes doigts. J’avais oublié les lamentations des bombes et l’humidité de notre abri souterrain qui se faufilait sous mon pyjama. Comme toi qui dansais, faisant voler le jupon transparent apparaissant sans pudeur sous l’ourlet de ta robe d’été. Et tes jolis yeux noirs comme deux petites billes rondes. Ces yeux-là qui jouaient savamment de la faible lumière pour charmer quiconque les regardaient. Un long moment je t’ai gardé pour moi dans le creux de ma main mais c’était difficile. Aventurière tu te logeais partout dans les plis de mon pyjama et te glissais jusque dans mon cou, te lovant dans mes cheveux. Tes envolées bien qu’éphémères me rendaient un peu jaloux car j’aurais souhaité, moi aussi, pouvoir fuir. Mais très vite j’oublie, j’oublie de t’en vouloir et je finis par t’offrir aux regards avides de ma famille. Avec stupeur ils découvrent ton minuscule visage d’ange et ta jolie robe rouge.
Mais soudain tu cesses ta promenade comme si l’ombre te rattrapais tout à coup. Ma pauvre fée, tu viens juste de t’apercevoir que tes ailes ne sont rien ici, derrière cette porte close. Ma jolie demoiselle égarée tu perds l’esprit et te cogne maintenant contre mon épaule. Le tissu de ta robe rousse se froisse et le jupon transparent apparaît, indécent maintenant aux yeux de tous, défait. Je ne souris plus et mes parents non plus ; les bombes continuent de siffler leur douleur, notre douleur…Prisonnière que tu es, prisonnière que nous sommes…Tu pleures maintenant jolie demoiselle mais sans tâcher ta robe cette fois. Affolée tu te heurte aux parois froides des murs de béton avant que je ne te saisisse vivement pour t’éviter de t’assommer. Je m’approche de la sortie de notre abri et tâte le plafond pour retrouver la trappe. Mon père a comprit ce que je veux faire et tente de m’en empêcher mais je me débats. Si j’ouvre cette porte je risque de mourir clame-t-il tandis que ma mère étouffe un sanglot ; mais si je ne te libère pas je sais que nous allons tous mourir cette nuit même. Je tire sur mon pyjama qui se déchire un peu mais mes gestes restent fermes, de toutes mes forces je pousse vers le haut pour soulever la trappe si lourde pour mes 12 ans et demi, c’est difficile et je gémis sous l’effort, des perles de sueurs venant se mêler à la pluie salée de mes yeux qui coule sans retenue. Mon père hurle, fou de rage, ma mère essaye de ne pas éclater de sanglots sans y parvenir, moi je pleure sans essayer de me retenir et j’y parviens très bien…Et puis enfin, accompagnant le bruit d’une autre bombe finissant sa misérable vie près sur le parvis de notre grande église, la trappe de notre abri s’ouvre dans un grincement terrible. Alors mon père cesse de me retenir car il est trop tard maintenant ; je tend ma main qui s’était faite prison et te souris…Tu montes au sommet de la pyramide de mon index, calmée maintenant que tu sens le vent frais ébouriffer ta robe rouge tâchée de noir. Je murmure quelques mots tendres et je te remercie pour l'oublie que tu m’as offert, pendant la guerre, nous avons oublié la guerre et il n’y a pas de plus beau cadeau. Tu te retournes vers moi une dernière fois puis te redresse pour regarder le ciel que des éclairs de lumière violente déchirent avant de faire voler les pans de ta robe écarlate et de ton jupon transparent. Je regarde le petit point qui s’enfuit en ziguezaguant, évitant sans peine le corps lourd des obus, si légère, si légère…Si libre...Ma jolie demoiselle coccinelle. | |
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le yéti Poète sur la lune
Messages : 199 Date d'inscription : 31/08/2008 Age : 55
| Sujet: Re: Demoiselle Lun 22 Sep - 21:23 | |
| ben dis donc calli.... j'en reste sans voix! j'adore! | |
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Marie-Ôde Poète en orbite
Messages : 79 Date d'inscription : 31/08/2008 Age : 62 Localisation : france
| Sujet: demoiselle Mar 23 Sep - 6:15 | |
| bonjour calli, comme je te l'ai déja dit une histoire surprenante et vraiment extraordinaire. Des mots justes qui font rêver, laisse imaginer... Je sais que tu là écris en quelques minutes aussi je t'adresse mes plus sincères félicitations Bisous Marie-Ôde | |
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